Paysages patrimoniaux : la Seine
Depuis le XVIIIe siècle au moins, la Seine et ses berges, les coteaux et le Mont-Valérien et leurs vues sur Paris, les parcs et jardins aristocratiques, les bois de Meudon et Clamart inspirent les représentations des paysages les plus connues du territoire des Hauts-de-Seine. Même s’ils ont été parfois profondément transformés ou ont, pour certains, disparu, leur persistance dans les imaginaires en fait des références très présentes qui sont parfois convoquées avec plus ou moins de succès et d’intensité dans la construction des paysages contemporains.
Dans la partie du territoire correspondant aujourd’hui au département des Hauts-de-Seine, le fleuve a depuis toujours eu un rôle économique, social et paysager essentiel. Le nombre impressionnant de représentations, peintures, gravures, cartes postales, descriptions littéraires… sur cette portion du fleuve en atteste. La Seine aimante le regard, ses activités animent le paysage et créent un spectacle chargé de poésie et de pittoresque.
Un décor de villégiature
C’est aussi près de ses berges que l’aristocratie choisit de construire dès le XVIIe siècle ses demeures ou résidences de campagne. Les vues vers le fleuve depuis les coteaux, les courbes douces des pentes vers la vallée sont des éléments essentiels des compositions des jardins qui le bordent. Le domaine de Saint-Cloud en est l’exemple le plus emblématique.
Un motif de panorama et de tableaux champêtres
Le cours d’eau est souvent représenté comme un des éléments d’un tableau idéalisé de campagne et de nature, où les reliefs des coteaux et le Mont-Valérien viennent ajouter du pittoresque.
Détente, canotage et baignades, la Seine, un paysage à investir
Les plaisirs liés à l’eau se démocratisent dans la première partie du XIXe siècle. La banlieue Ouest devient un terrain de jeu pour toutes sortes de Parisiens qui, le dimanche, profitent à la belle saison des plaisirs d’une campagne accessible près de Paris et où les classes sociales se mêlent. De nombreux artistes comme Paul Signac ont eux-mêmes des villégiatures non loin de l’Île de la Jatte ou d’Asnières.
« Des paresses, par instants, prenaient le canot qui s’abandonnait au fil du courant. Et lentement, ainsi que des écrans où tournent les tableaux sous les doigts des enfants, se déroulaient les deux rives, les verdures trouées d’ombre, les petits bois margés d’une bande d’herbe usée par la marche des dimanches ; les barques aux couleurs vives noyées dans l’eau tremblante, les moires remuées par les yoles attachées, les berges étincelantes, les bords animés de bateaux de laveuses, de chargements de sables, de charrettes aux chevaux blancs.Sur les coteaux, le jour splendide laissait tomber des douceurs de bleu velouté dans le creux des ombres et le vert des arbres ; une brume de soleil effaçait le Mont-Valérien ; un rayonnement de midi semblait mettre un peu de Sorrente au Bas-Meudon. De petites îles aux maisons rouges, à volets verts, allongeaient leurs vergers pleins de linge étincelants. Le blanc des villas brillait sur les hauteurs penchées et le long du jardin montant de Bellevue. Dans les tonnelles des cabarets, sur le chemin de halage, le jour jouait sur les nappes, sur les verres, sur la gaîté des robes d’été. Des poteaux peints, indiquant l’endroit du bain froid, brûlaient de clarté sur de petites langues de sable ; et dans l’eau, des gamins d’enfants, de petits corps grêles et gracieux, avançaient, souriants et frissonnants, penchant devant eux un reflet de chair sur les rides du courant. Souvent de petites anses herbues, aux places de fraîcheur sous les saules, dans le pré dru du bord de l’eau, l’équipage se débandait ; la troupe s’éparpillait laissant passer la lourdeur du chaud dans une de ces siestes débraillées, étendues dans la verdure, allongées sous les ombres de branches, et ne montrant d’une société qu’un morceau de chapeau de paille, un bout de vareuse rouge, un volant de jupon, ce qui flotte et surnage d’un naufrage en Seine. »Jules et Edmond de Goncourt, Manette Salomon, 1867
Les représentations des plaisirs des dimanches passés au bord du fleuve ou en canot sont nombreuses et ont profondément marqué les imaginaires de la fin du XIXe siècle. La renommée des peintres qui les ont immortalisés leur a permis sans difficulté de traverser le siècle. Ainsi, on ne compte plus aujourd’hui les « parcours impressionnistes » le long des berges 1. Les références à une peinture vieille de plus d’un siècle mais de plus en plus appréciée constituent un capital que comités du tourisme, institutions départementales, concepteurs et porteurs de projets… ne cessent de convoquer.
Ces ambiances de promenade, de détente et d’activités nautiques chères aux peintres de la fin du XIXe siècle sont aussi des références revendiquées de l’aménagement récent des promenades et des parcs le long du fleuve ou sur les îles.
Sur ce parcours, les promeneurs peuvent comparer in situ les paysages et les représentations qu’en ont données les peintres. Confronté directement à « l’esthétisation » du site par la mise en abyme du tableau dans son modèle, le spectateur ne peut manquer de se poser des questions sur le paysage lui-même, sur ses invariants et ses évolutions, sur ce qui a motivé le peintre dans son choix de planter son chevalet ici plutôt que là… Malgré les transformations du paysage, cette proposition ne peut avoir qu’un impact fort et durable sur les imaginaires.
Les ponts, motifs et points de vue
Le développement de l’aggomération amplifie la nécessité de traverser plus facilement la barrière que constitue la Seine. A partir du milieu du XIXe siècle et avec l’apparition du chemin de fer, de nouveaux ponts sont construits et deviennent des motifs abondamment repris dans la peinture.
Sur le tableau de gauche, au delà du talent du peintre et de sa sensibilité, cette partie de pêche sur la Seine qui pourrait, avec les barques et le pêcheur, n’être qu’un sujet pittoresque, prend une autre dimension grâce à la représentation du pont métallique qui vient à la fois cadrer le paysage et évoquer sa transformation.
A droite, une vue rapprochée et originale du pont de chemin de fer d’Asnières sur lequel le peintre représente un train en marche et sa locomotive fumante. Sous le viaduc, il ménage une vue en perspective sur l’enfilade des ponts qui scandent le cours de la Seine vers l’amont. Il peint sans état d’âme (beau, laid, banal…) le côtoiement propre à la banlieue d’éléments sans distinction : ponts, locomotive fumante et voitures de passagers, quai en friche sur lequel se promène une dame portant ombrelle, barques et pêcheurs… Grâce à la qualité de sa composition et à sa sensibilité à la lumière et aux couleurs, Van Gogh saisit un nouveau type de paysage sur lequel il nous fait porter un regard bienveillant.
À gauche, si les coteaux de la Seine et le Mont-Valérien sont encore représentés exempts de constructions, et qu’un moulin à vent, au loin, rappelle la vocation encore agricole des bords de Seine, la transformation en cours du paysage est bien le sujet principal de cette gravure du milieu du XIXe siècle. Le pont de chemin de fer (la ligne a été inaugurée en 1836) est devenu au même titre que le Mont-Valérien un sujet de représentation. Le bateau à vapeur et les activités des berges sont les autres attributs de la Révolution industrielle et urbaine en marche dans cette partie de la banlieue de Paris.
« Mais notre point de prédilection était au pont d’Asnières à cause des trains de banlieue qui y passent à raison d’un train par minute, des trains pas comme les autres, avec des wagons à impériale, débordant de Parisiens le dimanche matin et qui rentrent le soir en bras de chemise, la chanson aux lèvres, isolés par couple à chaque portière, la jeune femme les bras chargés de fleurs, échevelée et qui se penche, se penche en avant comme si elle allait se laisser aller dans le vide, Ophélie moderne, en entraînant son amoureux, vertige d’un trop beau dimanche… »Blaise Cendrars, La banlieue de Paris, photographies de Robert Doisneau, Denoël, 1949
Si les ponts sont des points de vue importants sur les paysages des Hauts-de-Seine, notamment lors des déplacements en train, peu de représentations picturales ou photographiques en rendent compte. Le pont est davantage motif, qu’origine d’un point de vue sur le paysage.
La Seine industrielle et industrieuse
La Seine n’a pas été représentée uniquement comme un lieu de promenade, de loisirs et de détente. Ses activités propres (batellerie, blanchisseries, ports) et celles installées le long de son cours ont produit de nombreuses images à la fin du XIXe siècle. Ce sont la photographie et la carte postale qui en ont surtout rendu compte. Le regard se fait ici davantage documentaire qu’esthétique. La Seine n’est plus représentée comme un fleuve bucolique mais comme un lieu de production et de travail où la sensibilité sociale est davantage convoquée.
Dans cette collection d’images, on note, malgré son emprise, la quasi-absence du port de Gennevilliers. Alors que ces deux premières darses sont construites en 1931, peu d’images en rendent compte.
Peinture et carte postale mettent en valeur les motifs du port. Si Émile Bernard, dans ce paysage d’hiver semble insister sur la grisaille du paysage et son dénuement, la carte postale met en valeur les éléments du port (péniches, quai, trémie) que vient cadrer la route plantée de grands arbres à gauche et la végétation des îles sur la Seine. Le quai est représenté dans les deux images comme lieu sinon de promenade, du moins de déplacement.
La crue de 1910, un sujet en soi
La crue de la Seine de 1910 a profondément marqué les esprits par son ampleur et par les dégâts qu’elle a provoqués. De nombreuses photographies et cartes postales ont rendu compte de la catastrophe et, à cette occasion, des paysages des communes sinistrées. Ainsi, sur un site de vente en ligne de cartes postales anciennes, pas moins de 1600 cartes postales concernent les effets de la crue sur le territoire actuel des Hauts-de-Seine.
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