Paysages de banlieue : la rue, les habitations
Les paysages de banlieue (faubourgs, rues, quartiers d’habitations…) ont surtout été mis en images par la photographie, qui témoigne d’ambiances urbaines souvent révolues.
Faubourgs : des visions contrastées
De la fin du XIXe siècle au début du XXe siècles, la Zone, puis les faubourgs sont les principaux attributs de la proche banlieue parisienne.
« Le Point-du-Jour : quartier au nom qui pourrait susciter l’image plutôt riante de l’approche de l’aurore, mais auquel le mépris qu’avaient en ce temps-là les gens d’Auteuil pour ce quartier plus pauvre que le leur contribuait à donner une allure indécise d’entre chien et loup, une teinte de grisaille légèrement patibulaire.Le Point-du-Jour, la pointe du jour : fin fond d’orient, potron-minet, diable Vauvert, district éperdument suburbain, confins où le jour qui commence se confond avec la nuit qui finit, minute à jamais équivoque où réverbères et veilleuses s’éteignent, dans les chambres encombrées par les constructions variées que rêvent les dormeurs, aussi bien que dans les rues dont les immeubles toisent de toute leur hauteur les chaussées et les trottoirs déserts.Le Point-du-Jour : pointe extrême que poussait le quartier si douillettement capitonné d’Auteuil vers des lieux perdus comme Issy-les-Moulineaux et Billancourt, rejetés au-delà de la Barrière et où menaient dans un grand fracas de ferraille, des tramways à baladeuse ».Michel Leiris, La Règle du jeu – Biffures, Gallimard, 1948
« C’est toujours vous, Printemps, qui me faites du mal…– Eau légère où le beau soleil baigne son âme,La Seine, toute molle et glissante, se pâmeSous les ponts emmêlés d’azur et de métal.Tout est sonore, et tout est calme et se repose ;L’air jouit du matin et d’un si doux état.Dans le bourg de Neuilly que Pascal visitaUn vert figuier s’avance entre deux maisons roses.(…) »Anna de Noailles, Les Éblouissements. Un matin à Neuilly. 1907
La rue, principal paysage de la banlieue
Le peintre naïf représente le tissu faubourien en train de se constituer : une rue bordée de constructions disparates que la présence des poteaux électriques et du réverbère situent bien dans l’espace de la banlieue. Un espace de friche que l’on imagine bientôt disparaître sous les pavillons ou les immeubles de rapport qui déjà émergent à l’arrière-plan du tableau.
Les alignements d’arbres et les jardins : éléments d’harmonisation et de composition des rues de banlieue
Les photographes de carte postale d’avant la Seconde Guerre mondiale se sont, en revanche, beaucoup appesantis sur les ambiances de rues. Traversées par le tramway, animées par le commerce et les activités des habitants, par les façades des boutiques… elles rendent compte d’une certaine typicité de la banlieue. Les alignements d’arbres y jouent un rôle essentiel en amenant le plus souvent et quelles que soient la variété et la juxtaposition des constructions qu’ils masquent ou soulignent, des éléments de composition et de cadrage à des rues, par ailleurs, souvent banales. Ils permettent aussi d’atténuer les différences sociales qu’indiquent les façades. La rue bordée d’arbres est, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, un sujet de photographie à part entière, mais leurs représentations disparaissent complètement à partir du milieu du XXe siècle quand les rues s’emplissent de voitures. La rue n’est plus alors un sujet de paysage.
Banlieue rouge, dans la mémoire plutôt que dans les images
Si le traitement des rues et des avenues permet relativement d’homogénéifier les paysages urbains de banlieue, les différences sociales entre les quartiers des Hauts-de-Seine restent bien visibles. Ces différences ont été moins notées par l’image que par les écrivains, comme Nina Berberova, émigrée russe qui s’installe à Paris dans les années 1930.
« Boulogne possédait un champ de courses, tandis qu’à Billancourt se trouvaient les usines Renault, un cimetière, une rivière et des quartiers pauvres, sales, délabrés. On arrivait de Paris à Boulogne par une large avenue verdoyante et à Billancourt par une rue commerçante et laide. Les rues de Boulogne avaient été baptisées au hasard, celles de Billancourt avaient reçu depuis la Commune jusqu’à nos jours des rues de militants du mouvement ouvrier. A Boulogne, on trouvait des restaurants luxueux tandis qu’à Billancourt c’étaient des tavernes russes ou françaises ».Nina Berberova, C’est moi qui souligne, Actes Sud, 1989
Cette bande dessinée met en scène une détective parisienne venue résoudre une énigme dont l’action se déroule dans l’usine Renault de Billancourt dans les années 1950. Sur fond de Seine, une opposition radicale entre personnages et paysages aussi différents que les classes sociales dont ils sont issus et dans lesquels ils vivent.
Pavillons de banlieue, un univers discret
Peu d’images de ces ensembles urbains faits de bicoques, de pavillons et de villas de meulière qui remplacent les zones maraîchères le long des voies de chemin de fer ou de tramway à partir des années 1920. Quelques cartes postales anciennes de rues en train de se construire, quelques panoramas montrent incidemment l’étendue du phénomène.
Robert Doisneau a beaucoup parcouru la banlieue. Ses nombreuses photographies ont rendu compte des conditions de vie des plus pauvres et ont popularisé une image que certains ont pu juger misérabiliste de la « ceinture rouge » de Paris.
Petits pavillons dans une rue sans charme, petits immeubles perdus à l’arrière-plan d’un terrain vague : les paysages de Robert Doisneau sacrifient peu au pittoresque et montrent de manière crue l’absence de « paysages » de certains quartiers des Hauts-de-Seine dans le deuxième quart du XXe siècle. Rares ont été les photographes de cette époque à s’intéresser à ces territoires.
Gares et ouvrages d’art, des motifs de la banlieue en construction
Illustrateurs et peintres impressionnistes ont fait du chemin de fer et de la gare un sujet « moderne » de représentation. Ils ont créé ainsi l’un des caractères de la banlieue. La carte postale ancienne reprend abondamment ce sujet mais un peu différemment. Davantage documentaire, elle met souvent moins d’intention ou de poésie dans la représentation, mais témoigne avec réalisme de la construction de nouveaux paysages urbains.
Au même titre que les gares, les architectures des équipements et des logements construits à partir des années 1920-30 sont des éléments connus et désormais inventoriés pour leur valeur patrimoniale et historique 1. Bien inscrits dans les représentations mentales de la proche couronne parisienne, ils sont cependant peu présents dans les images. Ce patrimoine tend aujourd’hui à être valorisé. Ainsi, le Conseil général propose des ballades architecturales permettant en partie de découvrir, parmi d’autres architectures patrimoniales, celle des années 1930 sur un parcours consacré à Boulogne-Billancourt 2.
Cités-jardins, modèle ancien et contemporain
Grands ensembles : des images valorisantes dans les années 1960-70, un repoussoir aujourd’hui.
Les cités et les grands ensembles construits entre les années 1950 et 1970 font partie des archétypes de la banlieue. L’image de la petite couronne y est fortement assimilée, particulièrement en Seine-Saint-Denis. Les Hauts-de-Seine, davantage associés à l’aisance et au tissu pavillonnaire, échappent à cette stigmatisation. Pourtant le nombre de cités et de grands ensembles est loin d’y être négligeable. Les cartes postales, jusque dans les années 1970 rendent compte des nouveaux paysages urbains qui se créent ainsi sur les plateaux, ou dans la plaine. Elles mettent en valeur, surtout au début de leur construction, leurs qualités (vues, « espaces verts », environnements boisés, modernité…).
Mais à partir du milieu des années 1970, les grands ensembles deviennent des repoussoirs sociaux (concentration de populations de plus en plus pauvres), architecturaux et urbains. Un terme est mis à la diffusion de leurs images, sinon pour dénoncer l’aberration de leur conception, leur enclavement et leurs problèmes sociaux. Les programmes de rénovation urbaine vont permettre de nouveau de diffuser des représentations de cette partie oubliée (par les images) du territoire départemental. Utilisées notamment pour rendre compte des actions de l’État et des collectivités locales, des photos ou dessins parfois idéalisés se mettent de nouveau à circuler. Les grands ensembles renouent ainsi avec les images d’architecture (désormais parfois en 3D) auxquelles sont associés l’évocation de nouveaux espaces publics et parfois la proximité de nouvelles lignes de tramway, les rapprochant ainsi des publicités de l’immobilier privé.
Constructions emblématiques (hors Défense)
Plus récemment, certaines constructions, surtout à proximité de La Défense sont devenues, par leur originalité, leur monumentalité ou leur hauteur, des emblèmes des paysages des Hauts-de-Seine. Les tours « nuages » de l’architecte Émile Aillaud construites en 1977 en font partie. Outre leur place dans les images, ils sont surtout des sujets en soi de discussion et de débats.
La préfecture de Nanterre, construite dans les années 1960 par André Wogenscky, est un autre emblème contemporain du département. La photographie renforce l’effet de volume émergent, tandis que les arbres du parc André Malraux offrent un cadrage végétal.
1. Voir le nombre de réalisations architecturales de cette époque inventoriées dans la base de l’inventaire du patrimoine sur le site du ministère de la Culture : http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/merimee_fr
2. Voir le site du Comité du tourisme des Hauts-de-Seine : http://www.tourisme92.com/les-promenades-architecturales.html
3. Voir site de l’IAU : http://www.iau-idf.fr/detail/etude/les-cites-jardins-un-ideal-a-poursuivre.html
4. Selon la définition du ministère de la culture : « Le label du Patrimoine du XXème siècle a été lancé par le ministère de la culture et de la communication en 1999 ; il a pour objet d’identifier et de signaler à l’attention du public, au moyen d’un logotype conçu à cet effet, les constructions et ensembles urbains protégés ou non au titre des Monuments Historiques ou des espaces protégés (ZPPAUP, Secteurs sauvegardés) dont l’intérêt architectural et urbain justifie des les transmettre aux générations futures comme des éléments à part entière du patrimoine du XXème siècle. Le signalement est accompagné par des actions de sensibilisation et de diffusion auprès des élus, des aménageurs et du public (expositions, publications…). »
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5 novembre 2014