Les tissus de bâti discontinu et non aligné

publié le 16 juillet 2013 (modifié le 8 juillet 2015)

Le XXème siècle a produit de très importants développements urbains en première couronne, particulièrement après 1945. C’est aussi dans cette période que l’urbanisme a adopté des types d’organisation rompant avec la continuité bâtie et l’alignement.


Le paysage "perçu" change radicalement selon la position des bâtiments vis-à-vis de l’espace public. Les contrastes paysagers qui en résultent sont parfois soudains, notamment au contact des noyaux anciens, et contribuent à la discontinuité du territoire.

Dans la deuxième partie du XXe siècle, la notion de rue a été fortement mise en cause, et de nombreuses opérations se sont implantées en retrait, sans alignement ni continuité. Le paysage est alors défini par les clôtures quand les parcelles sont closes, par la succession moins structurée des volumes bâtis et par une présence plus forte de la végétation, qu’elle soit incluse dans les parcelles ou dans l’espace public lui-même.

Nanterre, entre le centre ville et la préfecture en grand format (nouvelle fenêtre)
Nanterre, entre le centre ville et la préfecture


L’implantation des bâtiments en retrait de la rue procure un paysage radicalement différent, d’une lisibilité moins directe que celui du centre ville. L’espace de la rue est plus dilué, et se manifeste davantage pour lui-même, comme ici avec les plantations de palmiers.

Vue aérienne, et interprétation  en grand format (nouvelle fenêtre)
Vue aérienne, et interprétation
La position des bâtiments, nettement dissociée de l’espace public, en recul, non continue et non alignée, est, avec les échelles du bâti, une des grandes caractéristiques de ces tissus.

Par endroits, la ville apparaît non pas sous forme de tissus, mais au contraire comme des opérations singulières, non répétitives. Certaines se côtoient pour former, comme autour du parc André Malraux à Nanterre, un paysage original, fait d’expérimentations architecturales assemblées autour du parc. Le motif du parc central, parfois retrouvé dans les opérations contemporaines d’aménagement ailleurs dans le département, apporte du lien et une profondeur paysagère, tandis que les bâtiments expriment leurs voix diverses, dominées par les silhouettes des tours de logements d’Émile Aillaud et celles de la Défense, aux formes comparables.

Nanterre  en grand format (nouvelle fenêtre)
Nanterre
Le parc André Malraux, conçu sous la forme de grandes perspectives paysagères, formule un espace de référence, autour duquel se présentent diverses formes architecturales apparaissant comme des objets singuliers : tours de bureaux, tours de logements. La présence du parc permet de constituer un "ensemble", et même un paysage. Le traitement "paysager" des façades d’Émile Aillaud vient explicitement s’inscrire dans ce dialogue.

Quartiers de logements collectifs de type « grands ensembles »

Répartition de l'habitat collectif discontinu  en grand format (nouvelle fenêtre)
Répartition de l’habitat collectif discontinu
Le critère associe les ensembles de logements sociaux et les résidences privées qui, dans les années 1970 et 1980, ont adopté les mêmes dispositions.

Entre les années 1950 et 1973, ont été construits des ensembles collectifs de logements, souvent sociaux. L’ensemble du territoire départemental est concerné par ce type d’habitat, alors que par contraste, elle est quasi-absente du centre de Paris.

Répartis selon les opportunités foncières et les volontés d’accueil des communes, ils marquent surtout le nord du département, à proximité des activités de la boucle de la Seine.
On en retrouve également sous forme de poches réparties dans les autres tissus, parfois en « îlots » dans le tissu pavillonnaire, ou encore, comme à Gennevilliers, au contact direct du village historique qu’ils écrasent de leur échelle.

Ils sont également plus présents au sommet des plateaux qui n’ont été urbanisés que plus récemment, comme dans les secteurs de Buzenval et de Meudon-la-Forêt.

Le paysage de ce type de tissu est caractérisé par la hauteur importante des bâtiments, leurs formes de « barres » (rectilignes, et parfois arquées) qui peuvent être très longues, et de tours pouvant aller jusqu’à près de 40 étages (tour Aillaud à Nanterre). Leur implantation est généralement discontinue, dissociée de la continuité des voies. Il n’y a ni clôtures ni espaces extérieurs privés (du moins dans les projets initiaux), mais des zones de stationnement, et souvent de vastes secteurs de jardins accessibles à tous.

Leur organisation autocentrée, leur manque de relations avec les tissus environnants peuvent provoquer des contrastes très vifs de perception, et d’importantes ruptures de la continuité territoriale. La forme des réseaux de rues, associée aux modes d’implantation des immeubles, contribue souvent à constituer des labyrinthes d’espace. Dans certains cas, au contraire, les implantations contribuent à créer des espaces ensoleillés, abrités des vents (exemple de la cité de la plaine à Clamart).

Certaines opérations séparent les circulations motorisées et piétonnes (effets de dalle), contribuant à dissocier ces ensembles du reste du territoire, et formant des « isolats ».

Meudon-la-Forêt  en grand format (nouvelle fenêtre)
Meudon-la-Forêt
La dissociation des circulations crée un paysage difficile à lire. Le quartier apparaît comme un secteur autonome et monofonctionnel.


Les formes architecturales, sans ornements, obéissent à la recherche de « rationalité » qui a marqué l’époque. Il en résulte souvent des ambiances urbaines peu localisables, avec des formes répétitives sans traits marquants : la banalisation est ici un enjeu de paysage.

Ces tissus font l’objet, depuis les années 1980, de campagnes de rénovation et de renouvellement. Les programmes de l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), initiés depuis la fin des années 2000, peuvent notablement modifier les paysages, en combinant des opérations de démolition de grands immeubles collectifs (en totalité ou partiellement), de reconstruction selon d’autres typologies (immeubles sur rue, petits collectifs…), la réorganisation des espaces extérieurs, (création d’espaces extérieurs privatisés et clôturés (résidentialisation)), la recherche d’un meilleur maillage des rues, la requalification des aménagements.

Le modèle qui a prévalu lors de la Reconstruction et dans les deux décennies suivantes, semble aujourd’hui banni de la production urbaine contemporaine, au bénéfice d’îlots plus structurés. Ce rejet est probablement à rapprocher aussi de l’assimilation qui est faite entre la forme urbaine elle-même et les effets de la concentration de logements sociaux qu’elle abrite le plus souvent.

Nanterre, cité Marcellin Berthelot  en grand format (nouvelle fenêtre)
Nanterre, cité Marcellin Berthelot
La vue aérienne permet de révéler les contrastes vifs du paysage : implantations en labyrinthe, indifférentes aux orientations parcellaires ou à celles des voiries, absence d’articulation au voisinage, mais aussi importante présence des arbres.


Le paysage résulte beaucoup du mode d’implantation : les barres sont organisées en « chicanes spatiales », rendant impossibles les effets de perspective, contribuant au sentiment d’enfermement souvent ressenti dans ces quartiers.

Nanterre, cité Marcellin Berthelot  en grand format (nouvelle fenêtre)
Nanterre, cité Marcellin Berthelot
Le paysage résulte beaucoup du mode d’implantation : les barres sont organisées en « chicanes spatiales », rendant impossibles les effets de perspective, contribuant au sentiment d’enfermement souvent ressenti dans ces quartiers.

Cité de la plaine à Clamart, conception Robert Auzelle  en grand format (nouvelle fenêtre)
Cité de la plaine à Clamart, conception Robert Auzelle
L’implantation épouse les orientations parcellaires d’origine et détermine, entre les immeubles, des jardins collectifs orientés vers le sud, dont les voitures sont exclues, et qui apportent beaucoup de qualité à l’ensemble.
La même opération qui combine collectifs et logements individuels en bande contribue à créer une ambiance pouvant s’apparenter aux cités-jardins.

Meudon-la-Forêt, opération monumentale de Fernand Pouillon   en grand format (nouvelle fenêtre)
Meudon-la-Forêt, opération monumentale de Fernand Pouillon
L’architecture lyrique est associée à de généreux espaces publics : la conception ne se limite pas au bâti, mais procède d’une architecture du paysage urbain, incluant l’importante présence de l’eau. Les formes et la grandeur ne sont pas sans évoquer les grandes réalisations classiques associant les châteaux et les jardins.

Paysage de la rénovation urbaine à Antony et à Gennevilliers (quartier du Luth) en grand format (nouvelle fenêtre)
Paysage de la rénovation urbaine à Antony et à Gennevilliers (quartier du Luth)

Sur la photo de gauche, l’opération se situe à proximité immédiate du grand ensemble de Massy. L’architecture contemporaine soignée, alignée sur la rue, l’importance et la qualité des équipements publics et des aménagements, tendent à constituer une image très différente de celle des grands ensembles, tout en visant à créer des lieux d’une plus forte identité.

Au Luth, les barres ont été recoupées pour atténuer les effets de cloisonnement, et des façades nouvelles, recomposées sur les parties tranchées, se présentent aux nouvelles voies créées.

Les quartiers de collectifs résidentiels

Du fait de la pression immobilière, les grandes villas du du XIXe siècle ont parfois évolué, au bénéfice d’immeubles collectifs inscrits dans des parcelles privées clôturées, en recul sur la rue, environnés de jardins arborés. A Neuilly-sur-Seine, notamment, cette typologie marque le paysage du quartier du Parc.

Rue Saint-James à Neuilly-sur-Seine  en grand format (nouvelle fenêtre)
Rue Saint-James à Neuilly-sur-Seine
Le recul de l’implantation, parallèle à la rue, les jardins, les clôtures contribuent au paysage, autant que les dimensions des résidences collectives.
Neuilly, quartier du Parc  en grand format (nouvelle fenêtre)
Neuilly, quartier du Parc
Le tissu forme un paysage spécifique, renforcé par le traitement très arboré des rues, dont les principales sont héritées du parc initial.















Les-cités jardins : des opérations remarquables

La terminologie désigne un mode de production, et recouvre en réalité diverses formes urbaines. Celles-ci ont cependant plusieurs points communs : une conception unique se développant sur un périmètre déterminé, un espace public fortement composé, souvent ordonnancé, une mixité entre bâtiments collectifs, individuels groupés, et une place importante accordée aux jardins (espaces publics, potagers…). Enfin, l’architecture du début du XXe siècle contribue elle aussi à les caractériser.
De nombreuses variations peuvent cependant être observées, notamment au sujet des modes d’implantation. La cité de la Butte Rouge à Chatenay-Malabry, par exemple, présente de généreux parcours piétons qui structurent le site.

Butte Rouge, Châtenay-Malabry  en grand format (nouvelle fenêtre)
Butte Rouge, Châtenay-Malabry
Les parcours piétons apportent au site leur lyrisme, où la notion de cœur d’îlot est abolie.


Au Plessis-Robinson, les petits collectifs sur rue abritent de très intéressants cœurs d’îlot jardinés.

Cité-jardin du Plessis-Robinson  en grand format (nouvelle fenêtre)
Cité-jardin du Plessis-Robinson
Les cœurs d’îlot abritent de beaux développements de squares et de jardins potagers, tandis que les bâtiments définissent lisiblement les rues.

Cité-jardin de Suresnes   en grand format (nouvelle fenêtre)
Cité-jardin de Suresnes
Un plan viaire très hiérarchisé organise les implantations traditionnelles sur rue, associant collectifs et individuels groupés.

Cité-jardin de la Butte Rouge   en grand format (nouvelle fenêtre)
Cité-jardin de la Butte Rouge
Le système viaire articule un réseau automobiles et un réseau piéton. Les implantations plutôt alignées sur les rues, laissent cependant beaucoup d’ouverture aux cœurs d’îlots, qui forment l’essentiel du paysage vécu.

Les ensembles pavillonnaires : une part importante de l’espace urbanisé

Carte de répartition des quartiers pavillonnaires  en grand format (nouvelle fenêtre)
Carte de répartition des quartiers pavillonnaires
Les quartiers pavillonnaires occupent une forte proportion du territoire urbanisé des Hauts-de-Seine, et constituent le paysage quotidien de nombreux habitants. Ces tissus sont bien représentés dans presque tout le département, à l’exception des abords immédiats de Paris, des zones d’activité, et du secteur de La Défense.
Ce sont principalement des lotissements assez anciens, constitués entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle siècles, complétés par quelques opérations plus tardives mais moins étendues.

Un quartier de pavillons, à Nanterre   en grand format (nouvelle fenêtre)
Un quartier de pavillons, à Nanterre
Le rythme des parcelles et des bâtiments tous différents anime le paysage, renforcé ici par l’orientation biaise des façades qui se présentent d’autant plus à l’espace public. L’unité est apportée par les arbres d’alignement qui accompagnent la rue, tandis que dans les parcelles, les implantations assez serrées ne permettent pas la constitution de jardins assez grands pour y planter des arbres visibles de la rue.


Les quartiers pavillonnaires présentent d’importantes variations, cependant le type dominant dans les Hauts-de-Seine est celui des lotissements anciens, constitués sur le parcellaire agricole, et parfois sur les tracés d’anciens parcs (Meudon Bellevue). Ce tissu présente des emprises au sol assez importantes, et des implantations assez proches des limites séparatives. Les façades sont souvent percées sur la rue et sur le jardin, tandis que les murs latéraux, très proches les uns des autres, sont aveugles.

La pierre de meulière, très fréquemment mise en œuvre fin XIXe, début XXe siècle, apporte un élément d’ambiance et de caractère reconnaissable de « banlieue parisienne ».

L’espace public est diversement traité, le plus souvent en simples rues non plantées (l’habitat individuel nécessite en effet un important linéaire de desserte, couteux à constituer et à entretenir).
Cependant, lorsque les "jardins de devant" sont assez grands, ils peuvent accueillir une végétation qui contribue à animer la rue.

Sur le plan de la caractérisation du paysage, la forme est plutôt répétitive et ne permet que rarement d’identifier des lieux précis. Quelques cas se détachent cependant, lorsque l’espace public fait l’objet d’une composition ordonnancée, ou quand l’architecture se démarque, en particulier dans le cas de lotissements « huppés », comme par exemple ceux du parc de Sceaux, ou de la division Théry à Vaucresson.

Tissu pavillonnaire dense à Clamart  en grand format (nouvelle fenêtre)
Tissu pavillonnaire dense à Clamart
L’implantation resserrée des maisons ne laisse que très peu de place aux jardins et ne permet pas ici d’envisager le moindre « bimby » (build in my back yard). L’implantation très près de la rue, en quasi-continuité, se rapproche peu ou prou du tissu de noyau ancien traditionnel, avec cependant des effets de clôture sur rue et une plus grande différenciation des bâtiments.

Photo aérienne sur la division Théry à Vaucresson et une des rues du lotissement en grand format (nouvelle fenêtre)
Photo aérienne sur la division Théry à Vaucresson et une des rues du lotissement


Le plan général, la taille des parcelles, le style architectural, le traitement des espaces publics, tout concourt à énoncer un paysage spécifique, dont les qualités traduisent aussi un niveau social très élevé. Le lotissement a fait l’objet d’une protection au titre des sites du fait de ses qualités paysagères peu courantes.

Sur la photo de droite la qualité paysagère tient beaucoup à la forte présence des arbres plantés dans les jardins de devant, masquant les maisons depuis l’espace public, ainsi qu’au traitement singulier des trottoirs enherbés, voire plantés, qui accompagnent les clôtures dans une ambiance générale de jardin.

Lotissement du parc de Sceaux  en grand format (nouvelle fenêtre)
Lotissement du parc de Sceaux
La composition du réseau viaire forme une figure qui caractérise l’opération, en lien avec le parc voisin. Dans le lotissement, l’ambiance est caractérisée par l’architecture soignée de nombreuses villas des années 1930, qu’accompagnent de généreux jardins.

Antony, lotissement de la Fontaine, un exemple de lotissement « intégré » des années 1980, assez peu représenté dans le département  en grand format (nouvelle fenêtre)
Antony, lotissement de la Fontaine, un exemple de lotissement « intégré » des années 1980, assez peu représenté dans le département
Le plan viaire volontairement non maillé isole le quartier qui fonctionne en autarcie, comme une impasse que ne fréquentent que ses habitants, et constitue de fait un paysage très peu perçu. L’ambiance de l’opération repose sur le modèle de maison répété : position des garages sur l’espace public, absence de clôtures devant les façades en léger recul derrière un petit jardin de devant.


Comme le montrent ces exemples, le paysage des quartiers pavillonnaires repose beaucoup sur le mode d’implantation des bâtiments dans les parcelles : la position des façades, des clôtures, la présence des arbres, conditionnent la perception depuis l’espace public. La composition du réseau des rues, ses dimensions et ses traitements contribuent aussi fortement à l’ambiance paysagère et sont porteurs de caractérisation.

Enfin, l’architecture des pavillons, les matériaux et les couleurs des façades et des toitures, mais aussi les traitements des clôtures (dimensions, matériaux, couleurs, transparence, place de la végétation…) jouent aussi un rôle important de caractérisation paysagère.

Si l’on trouve de nombreux types de tissus pavillonnaires dans les Hauts-de-Seine, le département n’abrite en revanche que très peu d’habitat individuel dense, ou accolé, ou d’habitat intermédiaire.