La révolution industrielle et l’apparition des paysages de la banlieue

A la fin du XIXe siècle et au début du XXe Paris s’étale hors de ses enceintes, les Hauts-de-Seine deviennent une partie de la banlieue.

Les premiers signes de l’accélération démographique

Entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle, Paris poursuit sa croissance en tache d’huile. Une croissance qui s’accélère un peu par rapport aux périodes antérieures, mais qui reste essentiellement contigüe à la ville-centre. Pour l’essentiel, les limites urbaines progressent à mi-chemin entre l’enceinte des Fermiers généraux et les limites communales actuelles, avec quelques digitations plus prononcées (Vaugirard, les Ternes, les Batignolles, la Chapelle…) et la croissance remarquable de quelques satellites tels que Clichy, Neuilly-sur-Seine, Levallois-Perret ou Boulogne. Ces villes sont les premières à se développer sans attendre d’être intégrées dans l’agglomération principale. Pour le reste, seules quelques extensions modestes apparaissent en dehors de Paris, principalement dans les villes situées en bord de Seine, tandis que la grande majorité des autres enveloppes urbaines ne connaît guère d’évolution avant les dernières décennies du XIXe siècle.

L’apparition d’une croissance polycentrique

Autour de Paris, les noyaux urbains se mettent également à grandir

En 1900, les changements apparaissent bien plus radicaux tant dans la forme que dans le rythme de l’urbanisation. A la croissance en tache d’huile s’ajoute une croissance polycentrique qui affecte tous les noyaux urbains de la région. De plus, avec l’institution de la « Zone » (zone non aedificandi établie en arrière des fortifications de Thiers à partir des années 1840), la nouvelle limite administrative de la capitale devient une réalité géographique et paysagère plus nette et durable : la séparation entre la capitale et sa banlieue est matérialisée par un espace d’environ 300 à 400 m, les quelques extensions apparues précocement (Porte Maillot ou porte de Versailles) sont détruites, la Zone forme désormais un anneau bien visible sur toutes les cartes ou vues aériennes.

Naissance de l’étalement urbain

L’urbanisation de l’époque industrielle déborde rapidement cette limite artificielle. En quelques décennies la population intra-muros double, (elle côtoiera son maximum historique de 3 millions d’habitants jusqu’en 1930 avant de décroître), tandis que la banlieue en construction représente un peu plus d’un million d’habitants en 1900.

Mais en accueillant davantage de constructions à caractère industriel et un habitat moins dense, l’urbanisation périphérique concerne des surfaces plus importantes. Si bien que, en 1900, la banlieue apparaît déjà plus étendue que Paris pour une population trois fois plus faible, formant une couronne d’environ 2 km au sud et au nord mais s’étendant jusqu’à 5 km au nord-ouest, vers Colombes, et au sud-ouest, dans la vallée du Marivel ou vers Meudon.

L’accroissement des villes et villages plus éloignés est tout aussi spectaculaire en cette fin du XIXe siècle. Quelles que soient les tailles initiales, les surfaces urbaines doublent, et souvent plus encore. Au sud, les petites unités urbaines historiques ne sont pas encore suffisamment dilatées pour former une agglomération unique alors qu’au nord, la Garenne-Colombes et Bois-Colombes, quasi inexistantes en 1850, sont déjà intégrées dans une vaste banlieue, dont la vitesse de construction varie aussi, désormais, en fonction de celle des voies ferrées et des gares.

La raréfaction de l’espace « disponible » près des forêts et des parcs sanctuarisés

De la forêt de la Malmaison à celle de Meudon, sur environ le quart de la superficie du département, les bois et les grands parcs (protégés en tant que domaine public) résistent à l’urbanisation du XIXe siècle. Dès 1900, il ne reste plus beaucoup d’espace ni boisé ni urbanisé, autrement dit « disponible ». Dans ce secteur, la répartition entre urbain et non urbain ne changera d’ailleurs plus beaucoup jusqu’à aujourd’hui, de même que sur les terrasses alluviales et les coteaux de Seine, d’Issy-les-Moulineaux à Clichy, et le long de la bordure Sud de Paris (Vanves, Malakoff, Montrouge).

En revanche, au début du XXe siècle, il reste de part et d’autre, dans la boucle Nord et les plateaux Sud, des espaces agricoles et de vignes ainsi que de nombreux boisements de moindre importance. Ces espaces déjà morcelés mais encore importants, qui s’étendent du bord du coteau d’Issy-les-Moulineaux au sud d’Antony, de Garches à Colombes et autour de Gennevilliers vont être construits, de telle sorte que tous les espaces agricoles et boisés résiduels des Hauts-de-Seine seront bâtis pendant le XXe siècle.

La première phase d’urbanisation du département arrive à son terme, les transformations du paysage ont été radicales, surtout au nord et au sud, avec la disparition quasi-totale, vers le milieu du XXe siècle, des cultures maraîchères, des vignes et des vergers.

De nouvelles formes architecturales et urbaines

Alors que les continuités bâties des îlots fermés parisiens ou des faubourgs avaient été la forme dominante et s’inscrivaient dans le prolongement des villes préexistantes, les constructions du XXe siècle vont privilégier une double discontinuité : celle du bâti et celle de la ville elle-même.

Des types de bâtiments encore peu répandus jusqu’alors deviennent familiers : les grandes unités industrielles et les lotissements de maisons individuelles vont se partager l’essentiel des espaces conquis pendant la première moitié du XXe siècle ; le reliquat sera construit à partir des années 1950 sous forme d’ensembles de barres et de tours de logements ou de bureaux.

Car contrairement à la bordure de Paris dont les ensembles de logements sociaux datent du début du XXe siècle, ceux de la banlieue seront principalement créés à partir des années 1950. Ainsi, dans la majorité des cas, les différenciations historiques du bâti entre Paris et la banlieue vont continuer, et renforcer la perception de la frontière de la capitale.

L’industrie contribuera également à cette différenciation, surtout le long de la Seine, mais pas seulement. Les deux guerres mondiales accélèrent le mouvement favorable aux grandes unités industrielles : il faut des véhicules et des armes qu’il vaut mieux construire à l’ouest de la capitale, loin d’un possible front à l’est… Citroën, Renault, les usines d’armement s’implantent donc dans le XVe arrondissement, à Issy-les-Moulineaux, Billancourt, Nanterre, Levallois, Clichy…

Des maisons dans les parcelles agricoles

Soudain, alors que l’usage de la voiture devient de plus en plus répandu, les dynamiques ne sont plus de même nature. La croissance en tache d’huile à partir de la capitale, puis des noyaux anciens, va s’atténuer au profit d’une urbanisation en partie déconnectée des villes préexistantes, aussi bien en ce qui concerne l’habitat pavillonnaire, dont la localisation obéit à des logiques de marché de court terme, que les grands ensembles, promus par l’État mais localisés en fonction des possibilités foncières. Car hormis le quartier de la Défense et ses prolongements, en particulier vers Nanterre 1, les Hauts-de-Seine seront peu concernés par la volonté d’organiser l’espace régional, telle qu’elle apparaîtra dans les « schémas directeurs », surtout voués à la planification de la grande couronne.

Enfin, dans le secteur boisé du sud-ouest du département, les extensions ont bien été limitées par le statut des grands parcs et des forêts. Elles se feront principalement aux dépens d’anciens parcs privés ou de franges boisées (parc de Bellevue, bords de Chaville, Ville-d’Avray, Marnes-la-Coquette…) qui permettent finalement un accroissement non négligeable des surfaces construites.
Notes et références

1Située dans le prolongement ouest de la Défense, Le cas de Nanterre est particulier. Plus grande et moins urbanisée que les autres communes concernées (Puteaux et Courbevoie), son développement à partir des années 1960, plus étroitement lié à celui de la Défense, est en partie planifié par le Schéma directeur de 1965.

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