COMPLÉMENTS
 

De la « Zone » au « Périphérique » : une solide frontière artificielle

publié le 8 février 2013 (modifié le 27 février 2014)

« La ville sera ainsi entourée d’une zone inaccessible aux constructions privées, large en tout de 370 mètres, en y comprenant les fortifications et la route militaire intérieure. Les exploitations fondées sur l’exemption des droits d’octroi se trouveront ainsi tenues à une distance assez considérable de Paris et la reconstruction de nouveaux faubourgs extérieurs, au détriment des territoires annexés, sera rendue plus difficile. »

Claude Alphonse Delangle, ministre de l’intérieur, Extrait du « Rapport à l’empereur » in Documents relatifs à l’extension des limites de Paris, Préfecture de la Seine, 1859. (Disponible sur Gallica)

Le boulevard Périphérique comme repère frontalier

La frontière entre Paris et la petite couronne (Hauts-de-Seine pour la moitié ouest, Val-de-Marne et Seine-Saint-Denis pour l’autre moitié) est tracée au bord du boulevard Périphérique sur presque tout le pourtour de la capitale : seuls les enclaves des bois de Boulogne et de Vincennes et celles, plus petites, de la plaine de Vaugirard (Héliport et équipements) et du secteur sportif Parc des Princes-Coubertin y échappent, ainsi que quelques ilots du tissu de la banlieue à Levallois.

Ce qui en fait l’originalité, c’est que cette frontière ne se contente pas de s’appuyer sur une autoroute de contournement, mais sur un ensemble exceptionnel de caractères urbains et paysagers qui s’interposent entre Paris et sa banlieue.
Ainsi, à l’échelle planétaire, rares sont les limites administratives internes à un pays aussi nettement matérialisées en l’absence de référence physique (relief, vallée) ou de particularité historique (guerres, séparations).

Une frontière renforcée tout au long du XXe siècle

Cette particularité francilienne remonte au XIXe siècle avec la création de la dernière enceinte (dite enceinte de Thiers ou Fortifications) réalisée autour de Paris et suivie de peu de l’extension du territoire de la ville de Paris jusqu’à cette enceinte (1860).

Contrairement à une idée répandue, l’extension de Paris jusqu’aux Fortifications a bien été conçue comme l’aboutissement de la croissance de la ville en tant qu’entité administrative, et non comme une étape vers une entité administrative de plus en plus grande, instituant de fait une capitale composée d’une ville centre et d’une banlieue.
Sur les onze communes supprimées en 1860, quatre seulement sont absorbées par Paris. Les autres sont simplement découpées par la ligne des Fortifications et les morceaux ainsi créés sont répartis entre Paris et les communes voisines. C’est ainsi qu’une partie d’Auteuil et de Passy ont agrandi Boulogne, que les Batignolles-Montceaux ont agrandi Clichy… Certaines communes sont également découpées sans être supprimées : Montrouge, Neuilly-sur-Seine, Gentilly, Vanves…

Ce n’est pas faute de connaître la croissance de la population de la région :

« Les arrondissements de Saint-Denis et de Sceaux (…) resteront donc au rang des arrondissements les plus considérables, sinon par l’étendue, au moins par le chiffre de la population et par la somme des intérêts qu’ils renferment encore. D’ailleurs, l’augmentation de la population du département de la Seine (…) n’a produit que 11 % dans Paris, tandis qu’elle a donné 63 % dans la banlieue suburbaine, et 31 % dans la banlieue extérieure [1]. »

Georges Eugène Haussmann, « Mémoire » présenté par le préfet de la Seine in Documents relatifs à l’extension des limites de Paris, Préfecture de la Seine, 1859.

Et si la majorité des réclamations portent sur la manière de recomposer les communes consécutivement au nouveau découpage, certaines sont étonnantes :

« Le commissaire à l’enquête et des habitants notables de la commune de Neuilly, pour la portion située au-delà de la zone des fortifications, demandent à être annexés à Paris, comme la portion de leur territoire située en deçà de cette zone. »

Extrait du Registre des procès verbaux des séances de la commission départementale faisant fonctions de conseil général de la Seine, in Documents relatifs à l’extension des limites de Paris, Préfecture de la Seine, 1859.

Vers l’extérieur de Paris, les Fortifications elles-mêmes sont complétées par une zone non aedificandi (non constructible) d’environ 250 m de large. De fait, seules des constructions précaires aux allures de bidonvilles seront installées sur cette « Zone », surtout au début du XXe siècle. Du côté de Paris, les Fortifications sont longées par une rue qui s’élargira pour former les larges boulevards des Maréchaux après la destruction de l’enceinte, dans les années 1920.
La construction au même moment des habitations à bon marché (HBM, ancètres des HLM, souvent appelées « briques rouges » du fait de leur construction en briques apparentes) renforceront l’effet de frontière par les caractères particuliers de ces constructions, retranchées sur une bande d’une centaine de mètres derrière les boulevards et mal intégrées à la trame parisienne.

Alors que ces éléments successifs s’interposaient déjà fortement entre Paris et les communes voisines, il fut décidé en 1954 de construite une deuxième rocade vers l’extérieur de la Zone dont la construction dura jusqu’en 1973. De plus, le caractère autoroutier de ce « boulevard Périphérique » ne permettant pas la desserte des quartiers voisins, celle-ci est assurée par un anneau de voies supplémentaire contigu, combinant les fonctions de desserte locale et de bretelle d’accès. Ainsi, contrairement à toutes les enceintes parisiennes antérieures aujourd’hui intégrées à la ville, la dernière n’a fait que se renforcer.

Aujourd’hui, le boulevard Périphérique semble constituer le principal obstacle parmi cet ensemble concentrique isolant (boulevards des Maréchaux – ilots HBM – restes de la Zone – boulevard Périphérique – mur antibruit - voie latérale). Sa suppression, au moins dans toute la partie où il passe en surélévation, pourrait symboliser un nouvel élan urbain à l’échelle de l’agglomération.

La frontière parisienne renforcée par le boulevard périphérique vers Clichy (photo IGN 1955 et aujourd'hui)  en grand format (nouvelle fenêtre)
La frontière parisienne renforcée par le boulevard périphérique vers Clichy (photo IGN 1955 et aujourd’hui)
Au début du XXe siècle, les « briques rouges » investissent la Zone sur la moitié de sa profondeur. Au bord de Clichy et plus à l’est, l’autre moitié est encore en friche, occupée par des terrains de sport ou le cimetière. L’espace qui s’interpose ainsi entre Paris et la banlieue mesure déjà près de 400 m. La construction du boulevard Périphérique en surélévation renforce l’effet de coupure et assure la pérennité de cet espace interstitiel.
La trame urbaine rompue à Levallois-Perret (photo IGN 1955 et aujourd'hui)  en grand format (nouvelle fenêtre)
La trame urbaine rompue à Levallois-Perret (photo IGN 1955 et aujourd’hui)
En 1955, usines et ateliers s’étalent jusqu’au bord des ensembles HBM parisiens, débordant largement les limites communales actuelles (trait orange). Le bâti est différent mais la densité et l’orientation des rues sont semblables dans la capitale et sa banlieue…
En s’interposant, le boulevard périphérique a annulé ensuite toute possibilité de continuité urbaine.
Le rognage du quartier des Sablons à Neuilly (photo IGN 1955 et aujourd'hui)  en grand format (nouvelle fenêtre)
Le rognage du quartier des Sablons à Neuilly (photo IGN 1955 et aujourd’hui)
L’est du quartier des Sablons a été construit dès le début du XIXe siècle selon un motif symétrique de rues en étoile. Avant la construction du boulevard Périphérique, le réseau de rue vient se raccorder aux percements royaux (actuelles avenues Charles de Gaulle et boulevard Pershing) et, surtout, il permet une certaine continuité des tissus urbains. Si la construction du boulevard périphérique en tranchée semi-couverte a su épargner l’axe de l’avenue Charles de Gaulle, l’opération a aussi des allures de « rognage » du quartier sans ménagement !

[1La « banlieue suburbaine » désigne la partie à annexer, la « banlieue extérieure » étant au-delà des fortifications.