Une identité forte mais réductrice
En moins de 50 ans d’existence, le territoire des Hauts-de-Seine a réussi à affirmer une identité territoriale forte, appuyée en grande partie sur les valeurs positives naturellement associées à son nom ainsi qu’à sa situation à l’ouest de Paris. Traversé par l’axe historique allant du Louvre à La Défense, parsemé de résidences royales ou aristocratiques, les « Hauts »-de-Seine évoquent aussi, avec un certain bonheur, des images de surplombs, des vues dégagées sur la Seine et Paris dont s’est emparé le marketing territorial, dès la création du département. Si ces représentations aujourd’hui bien ancrées symbolisent commodément les paysages de cette partie de la petite couronne, elles rejettent souvent à l’arrière-plan, par leur simplicité, sinon leur simplisme, d’autres représentations photographiques, littéraires, picturales, qui rappellent l’histoire urbaine et sociale d’un territoire qui n’a cessé de se transformer sous l’effet du développement économique et urbain de la région. Moins diffusées parce qu’évocatrices de paysages aujourd’hui quasi-disparus, elles restent sous-jacentes car elles révèlent encore une partie de l’identité des paysages des Hauts-de-Seine.
Des superlatifs et des représentations hégémoniques qui masquent une réalité plus clivée
« La banlieue Ouest. La banlieue des riches. On l’appelle aussi la ceinture verte. Mais on oublie le bagne Renault à Billancourt et les usines de Gennevilliers, Bois-Colombes, la Garenne, Courbevoie, Nanterre, Boulogne. C’est le secteur de la voiture-aviation, Hotchkiss, Citroën, Peugeot, La Licorne, Rosengart qui empoisonnent les agglomérations surpeuplées coincées entre Paris et la Seine, rive droite, Clichy, Levallois-Perret, Neuilly-sur-Seine et, rive gauche, à la population tout aussi dense, Chenart et Walker, Hispano-Suiza, encore La Licorne, encore Peugeot, Ariès, De Dion-Bouton, Unic, Talbot, Blériot, Farman, Latil, Fiat, Mat-Ford, Saurer, l’île Seguin, au profil avaricieux, rasé de près, du directeur général des établissements Renault, M. Lehideux, un tintamarre et un va-et-vient perpétuel de lourds camions six et dix roues chargés à bloc qui roulent jour et nuit d’une usine à l’autre à une allure vertigineuse et minutée par les ingénieurs, si bien que les gosses des écoles ne peuvent aller jouer dans la rue sans courir le risque de se faire écrabouiller d’une seconde à l’autre par une remorque, des chaudronneries, des tôleries, des ateliers de soudure autogène, de montage, d’ajustage, d’assemblage, des fours Martin, des marteaux-pilons, des fabriques de pneus des ateliers de vulcanisation, des manufactures d’accessoires électriques, des carrossiers, des sociétés pétrolifères, des tanks, des dépôts d’essence, des garages qui font la chaîne et bouclent la boucle, et c’est juste si l’on peut se faufiler par le bois de Boulogne, le parc de Saint Cloud, la butte de Picardie (et encore la traversée de Viroflay est bien étranglée et le fameux « virage rouge » a été longtemps la terreur des vélocipédomanes !) où le détour par Marnes-la-Coquette, la route de l’Impératrice pour gagner le parc de Versailles (ce rêve !) et encore faut-il posséder une voiture ou pédaler dur car la trotte est longuette et il y a des côtes, et la véritable campagne et les lotissements agrestes (cet autre rêve) ne commencent qu’au-delà. »Blaise Cendras, La banlieue de Paris, Denoël, photos de Robert Doisneau, 1949.
Aujourd’hui, et depuis la réforme de 1964, le territoire des Hauts-de-Seine comprend 36 communes et son identité est souvent réduite à quelques superlatifs : le plus riche des départements français 2, le moins grand après Paris, un des plus urbanisés… En termes de paysages, le nom même des Hauts-de-Seine choisi en 1964, l’associe de manière univoque aux belles images des coteaux de la Seine offrant, depuis la banlieue, parmi les plus belles vues sur le fleuve et Paris et, se détachant de l’horizon, la silhouette inévitable et symbolique de la tour Eiffel. A cette idée de « balcon sur Paris », s’ajoutent les références aristocratiques des châteaux et parcs des grands domaines qui parsèment le territoire et dont les noms, Sceaux, Saint-Cloud, Rueil-Malmaison, Meudon, Neuilly… évoquent des paysages élégants et raffinés voués aux plaisirs d’une élite privilégiée.
Mais cette représentation du département ne rend pas compte de la réalité d’un territoire plus complexe et divers. D’autres images réelles ou mentales, mémoires de paysages disparus, profondément transformés ou en train de l’être, ou reflets de nouveaux espaces urbains créés de toutes pièces, imprègnent l’imaginaire et donnent les valeurs paysagères passées ou contemporaines de cette partie de la proche banlieue de Paris.
Nouvelles représentations et paysages disparus
La Défense devient un emblème
Ainsi, de nouvelles images sont apparues, enrichissant l’éventail des représentations des paysages départementaux. Certaines ont même tendance à supplanter celles des sites patrimoniaux des parcs et des coteaux de la Seine. Parmi elles, les représentations (surtout photographiques) de l’esthétisme high-tech des tours du quartier d‘affaires de La Défense et de son sky-line connaissent un véritable succès. Ainsi, c’est bien un panorama embrassant les architectures de la Grande Arche, du CNIT et du centre commercial des Quatre Temps qui illustre la page d’accueil du site du comité du tourisme des Hauts-de-Seine.
Les paysages industriels ne font plus recette
A l’inverse, les représentations plus anciennes, notamment des paysages industriels, pourtant très présentes dans l’histoire régionale et nationale et dans l’art sont aujourd’hui beaucoup moins convoquées. Il en est ainsi d’une partie des œuvres des peintres impressionnistes qui, s’ils ont beaucoup peint la Seine comme un espace aujourd’hui idéalisé de plaisir, de détente et de canotage, n’ont pas hésité aussi à représenter une banlieue très marquée par le développement de l’industrie. Cheminées, usines, entrepôts, maisons ouvrières, trains et autres ouvrages d’art sont des motifs de peinture valables pour ces artistes qui, ouverts aux propositions de leur temps, ont préféré s’intéresser aux paysages « ordinaires » qui les entouraient plutôt qu’aux sujets académiques des perspectives et des grandes compositions offertes par les jardins et les résidences aristocratiques chers à leurs prédécesseurs. Images sans doute moins aimables, elles reflètent des paysages et des ambiances urbaines quasiment disparus.
A l’inverse, les grands ensembles, bien représentés notamment par la carte postale, ont aujourd’hui complètement disparu des représentations. Considérés dans les années 1960-70 comme de véritables paysages urbains, symbolisant le progrès et le mieux être, ils ne sont mis en images aujourd’hui que très exceptionnellement, soit comme repoussoirs, soit à la faveur d’opérations de renouvellement urbain.
1. De 1790, date de la création par la Révolution du découpage du territoire français en département, au milieu des années 1960, l’Ile-de-France était constituée de trois grands départements (Seine-et-Oise, Seine et Seine-et-Marne). La réforme administrative menée sous la présidence du général de Gaulle en 1964 va redécouper ceux de la Seine et de la Seine-et-Oise en six nouvelles entités administratives (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Hauts-de-Seine, Essonne, Yvelines, Val d’Oise). La Seine-et-Marne n’est pas concernée par la réforme. L’Ile-de-France comprend désormais sept départements.
Voir à ce sujet, le dossier disponible en ligne réalisé par les archives départementales des Hauts-de-Seine
2. Cette assertion n’est vraie que si l’on parle de PIB par habitant.
3. Robert Doisneau (1912-1994), né à Gentilly, travailla avant-guerre comme photographe aux usines Renault à Boulogne-Billancourt. Il a résidé et travaillé à Montrouge pendant plus de 50 ans. Il y meurt en 1994.