Atlas des paysages et des projets urbains des Hauts-de-Seine

Une identité forte mais réductrice

publié le 15 mai 2013 (modifié le 14 avril 2017)


En moins de 50 ans d’existence, le territoire des Hauts-de-Seine a réussi à affirmer une identité territoriale forte, appuyée en grande partie sur les valeurs positives naturellement associées à son nom ainsi qu’à sa situation à l’ouest de Paris. Traversé par l’axe historique allant du Louvre à La Défense, parsemé de résidences royales ou aristocratiques, les « Hauts »-de-Seine évoquent aussi, avec un certain bonheur, des images de surplombs, des vues dégagées sur la Seine et Paris dont s’est emparé le marketing territorial, dès la création du département. Si ces représentations aujourd’hui bien ancrées symbolisent commodément les paysages de cette partie de la petite couronne, elles rejettent souvent à l’arrière-plan, par leur simplicité, sinon leur simplisme, d’autres représentations photographiques, littéraires, picturales, qui rappellent l’histoire urbaine et sociale d’un territoire qui n’a cessé de se transformer sous l’effet du développement économique et urbain de la région. Moins diffusées parce qu’évocatrices de paysages aujourd’hui quasi-disparus, elles restent sous-jacentes car elles révèlent encore une partie de l’identité des paysages des Hauts-de-Seine.

La petite couronne en 1964  en grand format (nouvelle fenêtre)
La petite couronne en 1964
Carte présentant le découpage les trois départements de la petite couronne créés en 1964. En jaune les 9 communes de l’ancienne Seine-et-Oise incluses dans les Hauts-de-Seine par le nouveau découpage.
Archives départementales des Hauts-de-Seine, dossier documentaire « 40 ans de la Préfecture et du centre administratif Départemental ».
Claude Boitel, premier préfet des Hauts-de-Seine  en grand format (nouvelle fenêtre)
Claude Boitel, premier préfet des Hauts-de-Seine
Derrière le bureau du préfet, une affiche avec l’une des premières représentations des paysages du département : « un balcon sur Paris, un département où l’avenir se conjugue au présent »…
Photo : Archives départementales des Hauts-de-Seine, cote : 36W136. Dossier Histoire du département























Avant la réforme de 1964 qui a réorganisé la structure administrative de la région parisienne et procédé à la création du département des Hauts-de-Seine [1], le territoire actuel du département était rattaché d’une part à celui de Seine-et-Oise (9 communes), d’autre part à celui de la Seine (27 communes). Cette réforme ne fut pas la première, des changements importants ayant déjà été apportés, notamment par le baron Haussmann, à la structure administrative de cette partie de la banlieue Ouest de Paris. Avec l’extension de l’urbanisation, des portions plus ou moins importantes des communes de Clichy, d’Issy, Montrouge, Neuilly et Vanves furent rattachées à la ville de Paris en 1859. Plus tard, quatre nouvelles communes furent aussi créées et rattachées au département de la Seine : Levallois-Perret en 1866, Malakoff en 1883, Bois-Colombes en 1896 et la Garenne-Colombes en 1910.

Des superlatifs et des représentations hégémoniques qui masquent une réalité plus clivée

« La banlieue Ouest. La banlieue des riches. On l’appelle aussi la ceinture verte. Mais on oublie le bagne Renault à Billancourt et les usines de Gennevilliers, Bois-Colombes, la Garenne, Courbevoie, Nanterre, Boulogne. C’est le secteur de la voiture-aviation, Hotchkiss, Citroën, Peugeot, La Licorne, Rosengart qui empoisonnent les agglomérations surpeuplées coincées entre Paris et la Seine, rive droite, Clichy, Levallois-Perret, Neuilly-sur-Seine et, rive gauche, à la population tout aussi dense, Chenart et Walker, Hispano-Suiza, encore La Licorne, encore Peugeot, Ariès, De Dion-Bouton, Unic, Talbot, Blériot, Farman, Latil, Fiat, Mat-Ford, Saurer, l’île Seguin, au profil avaricieux, rasé de près, du directeur général des établissements Renault, M. Lehideux, un tintamarre et un va-et-vient perpétuel de lourds camions six et dix roues chargés à bloc qui roulent jour et nuit d’une usine à l’autre à une allure vertigineuse et minutée par les ingénieurs, si bien que les gosses des écoles ne peuvent aller jouer dans la rue sans courir le risque de se faire écrabouiller d’une seconde à l’autre par une remorque, des chaudronneries, des tôleries, des ateliers de soudure autogène, de montage, d’ajustage, d’assemblage, des fours Martin, des marteaux-pilons, des fabriques de pneus des ateliers de vulcanisation, des manufactures d’accessoires électriques, des carrossiers, des sociétés pétrolifères, des tanks, des dépôts d’essence, des garages qui font la chaîne et bouclent la boucle, et c’est juste si l’on peut se faufiler par le bois de Boulogne, le parc de Saint Cloud, la butte de Picardie (et encore la traversée de Viroflay est bien étranglée et le fameux « virage rouge » a été longtemps la terreur des vélocipédomanes !) où le détour par Marnes-la-Coquette, la route de l’Impératrice pour gagner le parc de Versailles (ce rêve !) et encore faut-il posséder une voiture ou pédaler dur car la trotte est longuette et il y a des côtes, et la véritable campagne et les lotissements agrestes (cet autre rêve) ne commencent qu’au-delà. »
 
Blaise Cendras, La banlieue de Paris, Denoël, photos de Robert Doisneau, 1949.

Aujourd’hui, et depuis la réforme de 1964, le territoire des Hauts-de-Seine comprend 36 communes et son identité est souvent réduite à quelques superlatifs : le plus riche des départements français [2], le moins grand après Paris, un des plus urbanisés… En termes de paysages, le nom même des Hauts-de-Seine choisi en 1964, l’associe de manière univoque aux belles images des coteaux de la Seine offrant, depuis la banlieue, parmi les plus belles vues sur le fleuve et Paris et, se détachant de l’horizon, la silhouette inévitable et symbolique de la tour Eiffel. A cette idée de « balcon sur Paris », s’ajoutent les références aristocratiques des châteaux et parcs des grands domaines qui parsèment le territoire et dont les noms, Sceaux, Saint-Cloud, Rueil-Malmaison, Meudon, Neuilly… évoquent des paysages élégants et raffinés voués aux plaisirs d’une élite privilégiée.
Mais cette représentation du département ne rend pas compte de la réalité d’un territoire plus complexe et divers. D’autres images réelles ou mentales, mémoires de paysages disparus, profondément transformés ou en train de l’être, ou reflets de nouveaux espaces urbains créés de toutes pièces, imprègnent l’imaginaire et donnent les valeurs paysagères passées ou contemporaines de cette partie de la proche banlieue de Paris.

Affiche immobilière de l'île de Billancourt, Issy-les-Moulineaux, vers 1900  en grand format (nouvelle fenêtre)
Affiche immobilière de l’île de Billancourt, Issy-les-Moulineaux, vers 1900
Cette image met en avant les principales valeurs reconnues du paysage des Hauts-de-Seine : les vues sur Paris et la tour Eiffel, le Mont-Valérien et la présence de la Seine.
Archives départementales des Hauts-de-Seine. Cote : 23Fi539.
Gennevilliers, carte postale, deuxième moitié XXe siècle, collection particulière  en grand format (nouvelle fenêtre)
Gennevilliers, carte postale, deuxième moitié XXe siècle, collection particulière
Une carte postale qui montre l’emprise du site industriel sur la commune de Gennevilliers. La mise en page est étonnante. La photographie aérienne de l’usine est présentée en médaillon, au même titre qu’un visage ou patrimoine précieux.




























Nouvelles représentations et paysages disparus


La Défense devient un emblème

Ainsi, de nouvelles images sont apparues, enrichissant l’éventail des représentations des paysages départementaux. Certaines ont même tendance à supplanter celles des sites patrimoniaux des parcs et des coteaux de la Seine. Parmi elles, les représentations (surtout photographiques) de l’esthétisme high-tech des tours du quartier d‘affaires de La Défense et de son sky-line connaissent un véritable succès. Ainsi, c’est bien un panorama embrassant les architectures de la Grande Arche, du CNIT et du centre commercial des Quatre Temps qui illustre la page d’accueil du site du comité du tourisme des Hauts-de-Seine.

Page d'accueil du site du comité départemental du tourisme des Hauts-de-Seine  en grand format (nouvelle fenêtre)
Page d’accueil du site du comité départemental du tourisme des Hauts-de-Seine
La Défense est l’image la plus utilisée pour caractériser le territoire des Hauts-de-Seine.
http://www.tourisme92.com/



Les paysages industriels ne font plus recette

A l’inverse, les représentations plus anciennes, notamment des paysages industriels, pourtant très présentes dans l’histoire régionale et nationale et dans l’art sont aujourd’hui beaucoup moins convoquées. Il en est ainsi d’une partie des œuvres des peintres impressionnistes qui, s’ils ont beaucoup peint la Seine comme un espace aujourd’hui idéalisé de plaisir, de détente et de canotage, n’ont pas hésité aussi à représenter une banlieue très marquée par le développement de l’industrie. Cheminées, usines, entrepôts, maisons ouvrières, trains et autres ouvrages d’art sont des motifs de peinture valables pour ces artistes qui, ouverts aux propositions de leur temps, ont préféré s’intéresser aux paysages « ordinaires » qui les entouraient plutôt qu’aux sujets académiques des perspectives et des grandes compositions offertes par les jardins et les résidences aristocratiques chers à leurs prédécesseurs. Images sans doute moins aimables, elles reflètent des paysages et des ambiances urbaines quasiment disparus.

Georges Seurat, Pont de Courbevoie,1886-1887, Somerset House, Londres  en grand format (nouvelle fenêtre)
Georges Seurat, Pont de Courbevoie,1886-1887, Somerset House, Londres
C’est un paysage paisible et gracieux que décrit ici le peintre Georges Seurat avec sa technique pointilliste. Des berges de Seine idéales pour la flânerie, la détente, le fleuve lui-même animé par le canotage et la pêche. A l’arrière-plan, le pont de Courbevoie, une cheminée d’usine fumante dans une ambiance nimbée de brume.
Claude Monet, Les déchargeurs de charbon, vers 1875, musée d'Orsay, Paris  en grand format (nouvelle fenêtre)
Claude Monet, Les déchargeurs de charbon, vers 1875, musée d’Orsay, Paris
Au pont de Sèvres, à la fin du XIXe siècle, Claude Monet n’hésite pas à représenter un paysage peu aimable : péniches de charbon, travailleurs courbés sous le poids de leur charge, pont, maisons misérables et cheminées d’usines composent un paysage tout en noirceur dont il ne subsiste aujourd’hui qu’une vague mémoire.
© photo musée d’Orsay / rmn



























La banlieue, contemporaine de la photographie

Louis Robert, vue de Sèvres prise de la Manufacture, vers 1865, musée d'Orsay, Paris  en grand format (nouvelle fenêtre)
Louis Robert, vue de Sèvres prise de la Manufacture, vers 1865, musée d’Orsay, Paris
Passé le premier plan et les alentours de la manufacture de Sèvres, on découvre un paysage urbain très ordinaire composé d’immeubles de rapports qu’entourent des jardins résiduels. Le photographe ici se soucie manifestement peu d’esthétisme et fait un constat froid et détaché de la réalité urbaine de cette fin de XIXe siècle.
© photo musée d’Orsay / rmn


Parallèlement, de la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale, la photographie bénéficie d’une très large diffusion grâce notamment à la carte postale. En même temps qu’elle fixe en images les principaux sites patrimoniaux, elle s’intéresse à la diversité des paysages urbains. La rue et ses commerces, les bus et les tramways, les sorties d’usine ou les paysages des bords de Seine, bref la vie quotidienne et le cadre de vie, deviennent des sujets d’intérêt en soi.
Ce mouvement est accompagné par des photographes très importants du XXe siècle, comme Robert Doisneau [3] qui, grâce à leur travail sur la banlieue, créeront de nouvelles représentations tout en s’inscrivant dans la chronique sociale de leur temps.

Malakoff, carte postale du début du XXe siècle, collection particulière  en grand format (nouvelle fenêtre)
Malakoff, carte postale du début du XXe siècle, collection particulière
La banlieue est montrée ici comme un paysage vivant. Le photographe a choisi un cadrage et une composition qui suggèrent l’idée d’une harmonie urbaine et sociale dans laquelle constructions, objets et habitants semblent réunis dans une bonne échelle. Et ceci malgré la modestie des personnages et des architectures qui composent cette rue aux caractères (juxtaposition d’un habitat bas et d’immeubles plus hauts de 3 étages) par ailleurs très ordinaires.


Peu d’images des quartiers résidentiels

D’autres types de paysages urbains bien présents dans les représentations mentales, comme les quartiers résidentiels de Neuilly-sur-Seine ou les grandes maisons de Saint-Cloud ou de Sèvres, ou encore les secteurs pavillonnaires d’avant et d’après-guerre, sont en réalité beaucoup moins mis en images malgré leur extension spatiale.

A l’inverse, les grands ensembles, bien représentés notamment par la carte postale, ont aujourd’hui complètement disparu des représentations. Considérés dans les années 1960-70 comme de véritables paysages urbains, symbolisant le progrès et le mieux être, ils ne sont mis en images aujourd’hui que très exceptionnellement, soit comme repoussoirs, soit à la faveur d’opérations de renouvellement urbain.

Antony, carte postale, 1960-1970. Collection particulière  en grand format (nouvelle fenêtre)
Antony, carte postale, 1960-1970. Collection particulière
La photo aérienne est très utilisée à partir des années 1950 par la carte postale. Elle permet des vues d’ensemble sur des espaces urbains ordinaires que la prise de vue à hauteur d’homme ne valorise pas toujours, l’éloignement permettant souvent de pallier le manque de pittoresque du sujet. Quand le sujet est justement le grand ensemble, la prise de vue met couramment en valeur le site d’implantation surtout quand il s’agit de hauteurs ou de plateaux. La carte postale du grand ensemble d’Antony suggère ainsi que la situation des immeubles en hauteur permet d’offrir de belles vues à leurs habitants sur les coteaux boisés de la Seine et, plus loin encore à l’horizon, la tour Eiffel. Elle valorise aussi la présence des boisements au voisinage des habitations.

[1De 1790, date de la création par la Révolution du découpage du territoire français en département, au milieu des années 1960, l’Ile-de-France était constituée de trois grands départements (Seine-et-Oise, Seine et Seine-et-Marne). La réforme administrative menée sous la présidence du général de Gaulle en 1964 va redécouper ceux de la Seine et de la Seine-et-Oise en six nouvelles entités administratives (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Hauts-de-Seine, Essonne, Yvelines, Val d’Oise). La Seine-et-Marne n’est pas concernée par la réforme. L’Ile-de-France comprend désormais sept départements.
Voir à ce sujet, le dossier disponible en ligne réalisé par les archives départementales des Hauts-de-Seine

[2Cette assertion n’est vraie que si l’on parle de PIB par habitant.

[3Robert Doisneau (1912-1994), né à Gentilly, travailla avant-guerre comme photographe aux usines Renault à Boulogne-Billancourt. Il a résidé et travaillé à Montrouge pendant plus de 50 ans. Il y meurt en 1994.